La parole aux professionnels de l’enfance

Sandrine Deleu, 58 ans, médecin de Protection Maternelle et Infantile (PMI) à Auch

« Nous faisons avant tout de la prévention »

Depuis plus de 24 ans, Sandrine Deleu veille sur la santé des plus petits Gersois. Arrivée dans le Département en 1998, après un début de carrière en Alsace, cette médecin généraliste exercera trois ans aux urgences de l’hôpital d’Auch, avant de rejoindre la Protection Maternelle Infantile en 2001 pour une raison simple : «  Avec des enfants en bas âge, c’était plus confortable que l’hôpital ou le libéral. Et puis ne faire que de la pédiatrie, c’est un vrai plaisir  ».

Basée aujourd’hui à la PMI d’Auch, elle consulte exclusivement des enfants de 0 à 6 ans dans le cadre habituel de la PMI ou des familles demandeuses d’asile et jusqu’à 18 ans pour les jeunes accueillis par l’Aide Sociale à l’Enfance. «  Nous faisons avant tout de la prévention : suivi de croissance, vaccinations, dépistages… Mais parfois, il faut aussi gérer un petit malade pendant le week-end !  » sourit-elle.

Son métier ne se limite pas aux consultations. Bilan de santé en école maternelle, certificats médicaux pour l’entrée en crèche, protocoles d’accueil individualisé pour les enfants souffrant de pathologies nécessitant une prise en charge spécifique (asthme, allergies, épilepsie…), participation aux équipes éducatives pour les élèves en difficulté, tâches administratives… Les missions sont multiples. «  Je travaille en binôme avec une puéricultrice. C’est une vraie richesse : on se complète, je sais que le suivi postconsultation est aussi assuré à domicile par la puéricultrice, c’est très rassurant ».

Dans un contexte de pénurie médicale – seules 2,6 médecins PMI équivalents temps plein couvrent tout le Gers – Sandrine Deleu défend les atouts de la PMI : gratuité des soins, proximité, disponibilité. «  Certains parents viennent nous voir même s’ils ont déjà un médecin traitant, parce qu’ici, on prend le temps ». Patiente, empathique et à l’écoute, Sandrine garde intacte sa motivation : « C’est une chance de pouvoir exercer ce métier. On n’a pas d’urgences tous les jours, mais on est là quand il faut. Et on sait qu’on apporte quelque chose d’utile, de concret, pour le bien des enfants et de leurs familles

Louise Legal, 41 ans, conseillère conjugale et familiale au Centre de santé sexuelle

«  Notre mission, c’est d’ouvrir des portes »

«  Je veux que les gens connaissent le Centre de Santé Sexuelle (CSS).  » D’entrée de jeu, Louise Legal, 41 ans, annonce la couleur. Conseillère conjugale et familiale depuis un an et demi au sein de ce service départemental, elle insiste : «  C’est une ressource précieuse, un lieu d’accueil gratuit et confidentiel, ouvert à tous, mais encore trop méconnu.  » Son quotidien est varié : entretiens individuels, interventions scolaires, groupes de parole… «  Notre mission, c’est de créer un espace d’écoute bienveillant, d’ouvrir des portes et d’accompagner les personnes pour qu’elles trouvent leurs propres solutions. Ce que nous défendons, c’est avant tout l’accès aux droits et à l’information.  » Derrière l’intitulé de «  conseillère conjugale et familiale  » se cache une réalité plus vaste. La plupart des usagers consultent d’abord pour un motif médical – contraception, suivi gynécologique, règles douloureuses. Puis, au fil des échanges, surgissent des questions plus intimes : violences, sexualité, difficultés affectives. «  Je ne suis pas thérapeute  », précise-t-elle. «  Mon rôle, c’est d’aider les personnes à identifier des leviers concrets, des ressources accessibles, de réorienter vers des structures partenaires si besoin et surtout d’être dans le soutien.  » Louise Legal insiste aussi sur la force du collectif au sein du Centre de Santé Sexuelle : «  Nous fonctionnons en complémentarité et nous nous soutenons, car nous sommes confrontées à des situations parfois très dures : violences, abus, souffrances intimes. Heureusement qu’il y a l’équipe pour partager, prendre du recul et réfléchir ensemble à l’accompagnement.  » Les jeunes occupent une place centrale dans ses actions. Les permanences en lycées et collèges ou les ciné-débats initiés avec Ciné 32, ouvrent des espaces d’échanges. Avec eux comme avec les adultes, l’écoute active est au coeur de sa pratique, «  L’idée est de tenter de comprendre le schéma de pensée et l’histoire de la personne en mettant de côté tant que possible nos propres représentations pour éviter les cases et les normes. » Et de rappeler : «  Les gens ne viennent jamais par contrainte. Ils viennent parce qu’ils en ont besoin, et cela donne du sens à notre action.  » Les situations liées à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) font aussi partie de ses missions. Le CSS en pratique environ 80 par an. Là encore, Louise Legal s’attache avant tout à écouter, rassurer et surtout à déculpabiliser. Pour elle, ce métier est à la croisée du social, du médical et du psychologique : un travail concret, ancré dans la réalité des gens. Une véritable vocation.

Retrouvez l’interview complet de Louise Legal ci-après :

Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours professionnel ?

Je m’appelle Louise Legal, j’ai 41 ans et je suis conseillère conjugale et familiale au Centre de santé sexuelle depuis un an et demi. Mon parcours est un peu atypique : après des années dans le secteur social, notamment auprès des demandeurs d’asile, j’ai travaillé pendant dix ans dans l’éducation à l’image, au cinéma. J’intervenais en milieu scolaire, et à travers les films, nous abordions des thèmes comme les relations, les émotions, la vie affective et sexuelle. Cela m’a donné envie de me former dans ce domaine. J’ai fait un stage ici il y a trois ans, et l’équipe m’a tout de suite dit : «  Louise, dès qu’il y aura un poste, on t’embauche.  » C’est ce qui s’est passé.

En quoi consiste votre métier au quotidien ?

Mon titre officiel est «  conseillère conjugale et familiale  », mais en réalité, mon travail s’oriente surtout vers le conseil en santé sexuelle. Les personnes viennent souvent pour un motif médical (contraception, règles douloureuses, suivi gynécologique), et à travers l’entretien, j’aborde avec elles des aspects plus intimes : sexualité, violences, relations affectives. Mon rôle est d’abord de m’assurer que la personne est accompagnée correctement, en posant des questions pour identifier d’éventuelles difficultés cachées.

Comment se déroule un premier entretien avec une personne ?

Lors d’un premier rendez-vous, j’ai environ trois quarts d’heure pour échanger et «  déblayer  » la situation. Ensuite, mes collègues sages-femmes prennent le relais sur le suivi médical. Si j’identifie une problématique particulière, je propose toujours un nouvel entretien pour un accompagnement plus poussé. L’idée n’est pas de donner des conseils, mais d’aider la personne à identifier ses propres leviers pour avancer.

Quelle est la différence entre votre accompagnement et un suivi psychologique ?

Je ne suis pas thérapeute. Mes accompagnements sont plus courts et très concrets. Nous réfléchissons ensemble aux ressources et solutions que la personne peut activer dans sa vie : lien social, activités, soutien associatif… Parfois, j’aide des femmes très isolées à trouver une activité sportive ou une association. Mon rôle est de leur ouvrir des pistes qu’elles n’avaient pas vues.

Vous travaillez beaucoup avec les adolescents. Comment se passent ces échanges ?

Nous avons des permanences régulières dans les lycées du Gers. Les jeunes viennent souvent pour des douleurs de règles ou des questions de contraception, mais cela permet d’aborder bien d’autres sujets : puberté, premières relations, violences subies… Certains reviennent régulièrement, car ils trouvent ici une écoute différente, plus concrète et moins intimidante qu’un suivi psychologique.

Vous mentionnez aussi les auteurs de violences. Comment gérez-vous ces situations ?

Je reçois parfois des adolescents signalés par des éducateurs ou l’Aide sociale à l’enfance, mais uniquement s’ils sont consentants. Si un jeune me dit qu’il n’a pas choisi de venir, la rencontre s’arrête là. Le consentement est essentiel.

Vous intervenez aussi sur les IVG. Quel est votre rôle dans ce cadre ?

Pour chaque IVG, je fais systématiquement l’entretien, surtout pour les mineures, où il est obligatoire. Mon rôle est de vérifier que la décision vient de la personne elle-même, de l’informer pleinement, et de travailler sur la culpabilité et les idées reçues. Beaucoup de femmes pensent encore qu’une IVG va abîmer leur corps ou les rendre stériles. Nous les rassurons et les informons.

Le secret est-il une valeur importante dans votre travail ?

Absolument. Quand une mineure choisit de garder son IVG secret vis-à-vis de ses parents, nous respectons scrupuleusement ce choix. C’est une question de protection et de confiance.

Comment décririez-vous le travail d’équipe au Centre ?

Nous fonctionnons en synergie : deux sages-femmes, deux conseillères (en principe), et nous travaillons beaucoup en binôme. Nous partageons les situations rencontrées, ce qui nous permet de ne jamais rester seuls face à une difficulté. C’est une chance, car nous sommes confrontés à des récits de violences, d’abus, de souffrances intimes. L’équipe nous soutient humainement et professionnellement.

Vous coordonnez aussi des actions collectives. Pouvez-vous nous en parler ?

Nous intervenons dans les collèges, lycées, et structures spécialisées (IME, foyers…). Nous animons des séances de deux heures, sans enseignants, pour libérer la parole. Nous disons aux jeunes : «  Ici, rien ne nous choque, utilisez vos mots.  » Cela change tout. Nous utilisons aussi le cinéma comme outil de prévention, avec des projections-débats en partenariat avec Ciné 32. L’an dernier, 800 jeunes ont participé.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans ce métier ?

Ce que j’aime, c’est l’utilité de ce travail. Les gens viennent parce qu’ils en ont besoin, pas par contrainte. Chaque entretien est unique, chaque journée est différente. Et puis, il y a cette mission d’aller vers les publics éloignés du soin, en nous déplaçant dans les lycées, les centres sociaux…

Enfin, quel message aimeriez-vous transmettre sur le Centre de santé sexuelle ?

C’est une ressource précieuse, mais encore trop méconnue. Nous offrons un accompagnement gratuit, bienveillant, et respectueux des droits de chacun. Ici, on écoute, et c’est capital. Beaucoup de femmes nous disent : «  Pourquoi aller à Toulouse, où les délais sont interminables, alors qu’ici, c’est gratuit et qu’il y a une vraie éthique d’accueil ?  » Nous croyons profondément que chacun doit pouvoir accéder à ses droits, et c’est ce que nous défendons chaque jour.

Si vous deviez résumer votre métier en quelques mots ?

Ce métier m’apprend énormément. Je découvre sans cesse des histoires, des parcours de vie, et cela modifie profondément ma façon de regarder les gens. Aujourd’hui, quand je marche dans la rue, je ne vois plus simplement des silhouettes : je perçois des trajectoires de vie, des récits, des combats derrière chaque personne.

Camille Cazier, 33 ans, évaluatrice CRIP

«  Le placement est toujours le dernier recours  »

Depuis 2020, Camille Cazier exerce un métier aussi discret qu’essentiel : évaluatrice à la Cellule de Recueil des Informations Préoccupantes (CRIP) du Conseil départemental du Gers. «  Notre travail consiste à répondre à une question simple : existe-t-il un danger ou un risque de danger pour l’enfant?  ». Chaque fois qu’une information préoccupante est transmise — par l’Éducation nationale, un médecin, un voisin, un membre de la famille ou via le 119 —, la CRIP a trois mois pour mener l’évaluation. Concrètement, cela implique d’aller à la rencontre des familles, des enfants, mais aussi de tous les professionnels qui gravitent autour d’eux : enseignants, médecins, assistants sociaux... «  On se déplace à domicile, on observe le cadre de vie, on écoute les parents, on prend du temps avec les enfants… À la fin, on dresse une photographie de la situation familiale  ». Toujours réalisée en binôme, l’évaluation aboutit à des préconisations. Celles-ci vont du classement sans suite, lorsque le danger n’est pas avéré, à la mise en place de mesures administratives — comme une aide éducative à domicile —, voire à des mesures judiciaires si la situation l’exige. «  Le placement est toujours le dernier recours. Quand un parent accepte un accueil provisoire, je le vois comme une preuve d’amour : reconnaître qu’on a besoin d’aide pour protéger son enfant  ».

Les situations rencontrées sont diverses : conflits parentaux liés aux séparations, précarité, négligences éducatives. «  On imagine souvent que nous sommes confrontés uniquement à des cas de maltraitance grave, mais ce n’est pas la majorité. Beaucoup d’informations préoccupantes concernent des familles en difficulté, qui ont besoin d’un soutien.  » Un travail délicat. «  Nous devons désamorcer les craintes, créer une relation de confiance. Nous ne sommes pas là pour condamner, mais pour protéger et accompagner.  »

Ce qui la motive au quotidien ? Le sentiment d’utilité. « Apporter du soutien à une famille au bon moment, voir le soulagement dans leurs yeux, c’est très gratifiant  ». À ceux qui hésitent à demander de l’aide, Camille adresse un message : «  Il ne faut pas attendre que la situation se dégrade. Les Maisons Départementales des Solidarités sont là pour écouter, orienter et soutenir les familles  ».

Magalie Benvenuto, 58 ans, assistante familiale à Cazaubon

« Un métier exigeant, mais profondément humain »

Chez Magalie, l’accueil est une histoire de famille. Plus jeune, elle voyait sa mère s’épanouir en ouvrant sa maison à des enfants confiés par l’Aide Sociale à l’Enfance. « J’ai vu tout ce que ma mère pouvait apporter à ces enfants, et j’étais très fière d’elle. J’ai grandi avec cette idée que, plus tard, moi aussi je voulais faire ce métier. Mais je tenais d’abord à élever mes propres enfants et attendre qu’ils prennent leur envol  », raconte-t-elle. En attendant, Magalie est devenue assistante maternelle. Une expérience précieuse qui a nourri son véritable projet : offrir un foyer aux enfants qui, pour des raisons familiales, doivent être placés.

Depuis 5 ans et l’obtention de son agrément, Magalie a, avec 3 enfants sous son toit, un quotidien bien rempli : repas, devoirs, déplacements pour les différents rendez-vous (visites avec les parents, séances chez le psy, l’éducateur, etc.) et de nombreux moments de complicité et de confidences partagées. «  Ce métier, on l’exerce 7jours/7, il est indissociable de notre vie personnelle  ». Chaque enfant accueilli a sa chambre, son espace à lui. «  Je veux qu’ils se sentent chez eux, qu’ils aient des repères pour se reconstruire  », explique-t-elle. Car ces enfants arrivent souvent blessés, tiraillés entre l’amour pour leurs parents et l’attachement qui naît avec la famille d’accueil. «  Mais il faut toujours garder en tête que ces enfants ne sont pas les nôtres. C’est une règle essentielle de ce métier. Ils ont leur propre famille, et notre rôle, c’est de travailler dans ce sens : accompagner l’enfant, tout en aidant la famille à se reconstruire  ».

À ses côtés, son mari a aussi embrassé cette aventure humaine. «  Il est celui qui apporte une dimension plus récréative. Là où je dois poser un cadre et assumer les responsabilités, lui amène un peu de légèreté ». Ensemble, ils trouvent l’équilibre essentiel pour que l’enfant grandisse sereinement. Pour Magalie, ce métier est bien plus qu’une profession : c’est une vocation. «  Ce que l’on donne aux enfants, ils nous le rendent toujours  », confie-t-elle avec émotion. Un métier de coeur, exigeant, parfois difficile, mais porteur de sens, qu’elle exerce avec conviction. «  Ces enfants nous donnent de véritables leçons de vie. Les voir s’apaiser, sourire de nouveau, c’est une récompense inestimable  », conclut Magalie, convaincue que chaque accueil est une belle histoire de vie partagée.

Retrouvez l’interview complet de Magalie Benvenutto ci-après :

Depuis combien de temps exercez-vous comme assistante familiale ?
Je suis agréée depuis cinq ans.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous lancer dans ce métier ?
Ma maman était ce qu’on appelait à l’époque une «  famille d’accueil  ». J’ai donc grandi avec des enfants accueillis à la maison. C’était une belle expérience, même si elle comportait aussi des moments difficiles. J’ai vu tout ce que ma mère pouvait apporter à ces enfants, et j’étais très fière d’elle.
J’ai toujours eu envie de suivre ses pas, mais je ne voulais pas imposer ce rythme à mes propres enfants. Alors j’ai attendu qu’elles grandissent. J’ai d’abord travaillé comme assistante maternelle pendant 22 ans, en m’occupant de mes trois filles et de nombreux autres enfants. Puis, au moment du confinement lié au Covid, j’ai décidé que c’était le bon moment pour franchir le pas et devenir assistante familiale.

Comment se déroule le parcours pour obtenir l’agrément ?
C’est un processus sérieux. Mon mari a été associé à toutes les étapes. Nous avons eu plusieurs entretiens avec des psychologues, des assistantes sociales, des éducateurs, ainsi qu’avec la cheffe de l’Unité famille. La PMI est également venue vérifier la conformité de notre maison.
Le délai annoncé est de quatre mois entre le dépôt du dossier et l’agrément, ce qui s’est vérifié dans mon cas. Mes enfants, alors majeures, ont aussi été entendues.

Et ensuite, y a-t-il des formations obligatoires ?
Oui. Avant d’accueillir un premier enfant, nous devons suivre 60 heures de formation. Puis, dans les trois années qui suivent, 240 heures supplémentaires. Une réforme est en cours et prévoit désormais plus de 400 heures de formation, ce qui alourdit encore le dispositif.

Combien d’enfants pouvez-vous accueillir ?
Au départ, j’ai eu un agrément pour deux enfants. Aujourd’hui, il est porté à trois, ce qui est le maximum possible. Depuis cinq ans, j’ai accueilli huit enfants, du nourrisson jusqu’à 12 ans. Tous sont repartis dans leur famille, parfois chez les parents, parfois chez les grands-parents.

À quoi ressemble une journée type ?
Il n’y a pas vraiment de journée type ! Quand les enfants sont scolarisés, les journées ressemblent à celles d’une famille ordinaire : école, devoirs, repas. Mais il y a aussi beaucoup de rendez-vous : suivi psychologique, orthophoniste, éducateurs, visites en famille… Le mercredi est souvent la journée la plus chargée.
On doit être disponible 24 heures sur 24, y compris le week-end et les jours fériés. Par exemple, il m’est arrivé d’accompagner un enfant à une visite familiale le jour de la fête des mères. Ce métier implique d’intégrer totalement l’enfant dans notre vie familiale, tout en respectant ses liens avec sa famille d’origine.

Quelles sont les principales contraintes ?
C’est un métier très prenant. On ne peut pas toujours organiser des vacances comme on le souhaiterait. Les visites, les suivis, les rendez-vous médicaux rythment le quotidien. On vit un peu «  en parenthèse  » : notre vie personnelle est forcément impactée.

Et les bons côtés ?
Ils sont immenses. Voir un enfant évoluer, retrouver le sourire, progresser malgré ses blessures, c’est ce qui nous porte. Chaque parcours est différent, mais tous sont riches d’enseignements. Ces enfants nous donnent de véritables leçons de vie.
Bien sûr, les séparations sont difficiles, mais il faut se rappeler que notre rôle est de préparer le retour en famille. On n’est qu’une parenthèse dans leur vie, pas un substitut parental.

N’est-ce pas difficile de gérer l’attachement ?
Bien sûr qu’on s’attache. On peut donner beaucoup d’affection, mais il faut toujours garder en tête que ces enfants ne sont pas les nôtres. C’est une règle essentielle de ce métier. Ils ont leur propre famille, et notre rôle, c’est de travailler dans ce sens : accompagner l’enfant tout en aidant la famille à se reconstruire.  Parfois, cela fonctionne, parfois non. Certains parents n’ont pas les capacités ou ne font pas l’effort nécessaire. Mais, en règle générale, quand un enfant nous est confié, c’est bien pour envisager un retour en famille.

Votre conjoint vous accompagne dans cette aventure ?
Oui, et il le vit très bien. Il apporte un souffle différent : il est plus dans le jeu, dans les moments de plaisir et de détente avec les enfants. Moi, j’ai la charge des responsabilités éducatives, du suivi, des règles. Lui, c’est un peu le «  côté récréatif  », mais toujours dans le respect du cadre. C’est important pour les enfants d’avoir ces deux facettes : le sérieux et la légèreté.

Comment rassurez-vous les enfants qui arrivent chez vous ?
La première chose que je leur dis, c’est que je ne suis pas là pour remplacer leurs parents. Je leur explique que je ne les jugerai pas, que je suis là pour les accompagner au quotidien. Certains enfants aimeraient qu’on prenne cette place, mais ce serait encore plus perturbant pour eux. Notre rôle, c’est de rester à notre place : les aider, leur offrir un cadre sécurisant, mais sans se substituer à leurs parents.
Chaque membre de l’équipe a son rôle : les éducateurs, les psychologues, les travailleurs sociaux… Nous, notre mission, ce sont les enfants, pas la famille.

Vous êtes parfois en contact direct avec les parents ?
Oui, notamment lors des visites qui ont souvent lieu le week-end. Parfois, il faut aller les déposer chez les parents ou faire la moitié du trajet. Ça dépend des situations.
Ces rencontres peuvent être compliquées : certains parents sont dans le jugement, parfois agressifs, tandis que d’autres entrent dans un rapport presque amical, comme si on partageait le rôle. Là encore, il faut savoir garder sa place et poser les limites.

Pouvez-vous nous donner un exemple marquant ?
Je pense à une jeune maman de 22 ans qui avait eu des jumeaux. Le papa était parti, elle se retrouvait seule, complètement débordée. Sa propre mère lui répétait qu’elle n’était pas une bonne maman. Moi, je lui disais que si, qu’elle en était capable, mais qu’il fallait apprendre, pas à pas. Elle avait besoin d’être rassurée, accompagnée. Au départ, elle comptait beaucoup trop sur moi, au point que j’ai dû lui dire clairement : «  Le juge vous a reconnue capable, donc vous devez prendre votre place.  » Ça n’a pas été facile, mais elle a fini par y arriver. Aujourd’hui, elle m’envoie encore des photos de ses enfants. Elle m’a confié qu’elle n’oublierait jamais cette étape et qu’elle m’était redevable de les avoir aidés à se retrouver.

La durée des placements est donc très variable ?
Exactement. Parfois, on pense qu’un enfant va rester longtemps, et il repart vite. J’ai accueilli un nourrisson de 11 jours : tout le monde pensait qu’elle allait rester, et finalement, au bout d’un mois, la maman a accepté les conditions qui lui étaient posées et a récupéré sa fille.
À l’inverse, certains enfants restent jusqu’à leur majorité. On ne peut jamais savoir.

Et parfois, les liens se prolongent dans le temps ?
Oui, ça arrive. Je me souviens d’un enfant que ma mère avait accueilli tout bébé. Aujourd’hui encore, devenu adulte, il vit toujours avec elle à cause de ses fragilités. Pour nous, c’est comme un membre de la famille.
D’autres enfants quittent la maison en colère, persuadés d’avoir vécu les pires années de leur vie… puis, des années plus tard, ils reviennent remercier. Ils comprennent qu’on leur a donné des bases, une sécurité, et que même si ça ne se voyait pas sur le moment, ça les a aidés à se construire.
Moi, je leur dis toujours : «  Ce que je t’apprends aujourd’hui, tu crois que ça ne sert à rien, mais un jour ça ressortira. Rien n’est jamais perdu.  »